Le pétrole et le chocolat
Publié par Arnaud Zufferey, le 2 septembre 2021.
En Suisse, la consommation annuelle de chocolat est de 10 kg par habitant. Imaginez que le gouvernement se fixe comme objectif de réduire de moitié cette consommation d’ici 2035 pour des raisons de santé publique. Plusieurs approches seraient possibles et seraient débattues par le parlement :
- subvention de la recherche (produits alternatifs sans sucre, lapins en chocolat à épaisseur réduite, etc.)
- programme de promotion pour les projets visant à économiser le chocolat
- taxer le chocolat pour en limiter la consommation (avec le risque d’en faire un produit réservé aux riches)
- augmenter la TVA sur le chocolat
- campagnes d’information pour faire culpabiliser et stigmatiser les mangeurs de chocolat (déforestation, obésité, risque accru de diabète, etc.)
- etc.
Un projet de loi combinant de telles mesures pourrait obtenir une majorité au parlement. Cependant, l’acceptation sociale de ces mesures serait mauvaise et leur efficacité pas du tout garantie.
Imaginez maintenant qu’une loi beaucoup plus simple soit rédigée :
- les distributeurs de chocolat doivent baisser leurs ventes de 4% par an sur la période 2022-2035 ;
- tant que la branche (de chocolat) suit cette tendance aucune mesure supplémentaire n’est prise ;
- si un distributeur ne respecte pas cette tendance, il paie une amende proportionnelle au chiffre d’affaires.
Au final c’est cette deuxième version qui est retenue. La première année qui suit l’entrée en vigueur de cette loi, les distributeurs ne prennent pas de mesure particulière et les ventes de chocolat stagnent. Les amendes sont salées et alimentent les caisses de l’Etat. L’année d’après, les distributeur rivalisent d’ingéniosité pour faire baisser les ventes et éviter les sanctions:
- le chocolat est retiré des caisses (pour éviter les achats impulsifs) et des têtes de gondoles ;
- les magasins renoncent à faire de la publicité pour le chocolat ;
- les magasins analysent les données des ventes (data science) pour voir quand le chocolat est le plus vendu. Plus de la moitié des ventes ont lieu lors de fêtes (fêtes des mères, Pâques, Noêl...).
- le lapin de pâques est présenté comme dépassé et remplacé par des cakes aux carottes, les fleurs sont mises en avant pour la fête des mères ;
- les emballages sont revus et rendus moins attractifs (couleurs, textures) ;
- le poids moyen des plaques baisse à 75g au lieu de 100 g ;
- les recettes sont revues pour diminuer la quantité de chocolat (chocolat aux fruits secs);
- les distributeurs se regroupent entre régions qui mangent beaucoup de chocolat et les autres pour faire baisser la moyenne ;
- le chocolat disparaît des shops des stations services et des gares ;
- les services marketing développent de nouveaux produits (assortiments de biscuits, fruits secs, etc.);
- etc.
Et ça fonctionne : dès la 2e année aucun distributeur ne paie d’amende et la consommation de chocolat diminue progressivement.
Vous voyez certainement où je veux en venir: notre société est dépendante du pétrole. Depuis des décennies les gouvernements ont pris des mesures en bout de chaîne qui touchent les consommateurs finaux (taxe sur l’essence, taxe CO2…). Et ça ne fonctionne pas.
Début 2020, l’objectif pour les émissions de CO2 des voitures neuves est passé à 95 g au lieu de 130 grammes par kilomètre. Les importateurs qui ne respectent pas ces émissions paient de lourdes amendes. Résultat : les vendeurs ont mis en avant des véhicules hybrides et électriques, et les émissions chutent.
Le modèle de prescriptions énergétiques des cantons (MoPEC 2014) a 7 ans. Il jouit d’une très mauvaise réputation et il est mis laborieusement en vigueur dans les cantons, avec quel effet ? Est-ce vraiment pertinent de stigmatiser un propriétaire de maison chauffée au mazout, alors que dans la plupart des cas il n’y peut strictement rien ? Peut-être qu’à l’époque de la construction de son bâtiment ni l’installateur, ni la commune ni le distributeur d’énergie n’avaient d’alternative à lui proposer ?
Pendant qu’on perd du temps à stigmatiser le propriétaire, le vendeur de mazout lui continue à faire de bonnes affaires.
Comme pour le chocolat, les mesures en bout de chaîne (obligations, interdictions, taxes, subventions) sont coûteuses, inefficaces et mal acceptées.
Actuellement, le canton du Valais met en consultation sa nouvelle loi sur l’énergie sur la base du MoPEC 2014. Le projet de loi tient en 26 pages et 55 articles. Tout devient règlementé : l’obligation du solaire, l’obligation d’installer des bornes de recharge, l’obligation des chauffages à énergies renouvelables, l’interdiction du chauffage électrique, etc. Les objectifs ne sont pas clairs et l’efficacité de ces mesures en aucun cas garanties (surtout que les dérogations prennent plus de place que les interdictions).
Imaginez maintenant que les distributeurs d’énergie doivent suivre une courbe de réduction des émissions de CO2 (baisse de 4% par an des émissions de CO2 de la chaleur livrée). Qu’est-ce qui se passerait ?
- les distributeurs vendraient tous des pompes à chaleur au lieu de chaudières fossiles
- les chauffages à distance passeraient à la phase de réalisation
- les planifications énergétiques territoriales ressortiraient des tiroirs
- l’info serait plus facilement disponible pour les clients
- des regroupements auraient probablement lieu (les triages forestiers avec les vendeurs de solutions fossiles)
- des solutions innovantes seraient mises en avant (leasing, contracting..)
- les distributeurs se souviendraient d'un coup de la loi de Pareto (tient la grande industrie là qui représente 80% des émissions de CO2, on pourrait l'aider à optimiser ses consommations non ?)
En France les cigarettiers financeront le ramassage des mégots . Un jour où l’autre les vendeurs de fossile devront bien s’occuper du CO2, non ?