pareto et transition

Pareto et la transition énergétique

Publié par Arnaud Zufferey, le 5 février 2021.

Pourrait-on mieux exploiter les données pour accélérer la transition énergétique ? Pareto a-t-il un rôle à jouer ? Réponse courte : oui, réponse moins courte ci-dessous.

Toute consommation ou production d’énergie a lieu à un endroit donné (espace) et à un moment précis (temps). Les deux axes d’analyse naturels sont donc la recherche de distributions spatiales et de motifs temporels. Ces deux axes sont largement utilisés et une simple recherche sur le web donne des millions de résultats (spatial patterns, time series patterns).

Un troisième axe moins utilisé permet de mettre les données encore davantage en perspective : l’analyse des distributions statistiques (et c'est là que Pareto intervient).

Exemple de la mobilité

Prenons un exemple : la mobilité. Un traceur GPS enregistre les déplacements d’un véhicule de fonction toute l’année. On pourrait faire des analyses spatiales (carte des déplacements, une heat map des endroits les plus visités, etc.) ou temporelles (plages horaires où le véhicule est (in)utilisé, comparaison jours de semaine avec les weekends, etc.). Pour illustrer la distribution statistique nous allons conserver le nombre de kilomètres parcourus par jour. Les données brutes fictives ressemblent à ça :

données de la mobilité brutes

Selon la politique de l’entreprise ce collaborateur roule beaucoup (17'145 km par an) et effectue parfois des trajets de plus de 300 km, il a donc droit à un véhicule de fonction à essence. Coût pour l’entreprise 70 ct/km soit 12'000.-/an (source : frais kilométriques du TCS).

Un simple tri décroissant des données donne une vision plus claire des données:

données de la mobilité triées

L’analyse de ces données révèle que :

Pareto

Cette distribution très asymétrique est fréquente dans le domaine de l’énergie et s’apparente aux travaux de Pareto.

Ces distributions de Pareto sont bien utilisées dans certains domaines, comme dans l'analyse de la répartition de la richesse. En Suisse 5.7% des habitants détiennent 66.6% de la fortune. Il y a même un moyen de mesurer l'inégalité des répartitions : le coefficient de Gini.

Prenons l'exemple de Swisscom. Le directeur général gagne 1.85 millions de francs par an (oui ça fait bien 154'000.- par mois environ), les membres du conseil d'administration se contentent de 265'000.-/an. A l'autre bout de l'échelle salariale, les apprentis et les stagiaires touchent presque rien. Si on dessinait la courbe des salaires des 19'000 employés on arriverait très probablement à une distribution de Pareto...

données des salaires

A nouveau, dans ce contexte, le minimum, maximum et surtout la moyenne des salaires ne veut rien dire.

A ce propos, même si vos données ne suivent pas une distribution de Pareto, il faut se méfier des statistiques usuelles comme la moyenne. Le graphique suivant est tiré de la publication intitulée "Same Stats, Different Graphs" et montre 12 sets de données. Au premier coup d'oeil on voit qu'ils sont très différents. Pourtant ils ont été construits pour avoir exactement les mêmes statistiques (moyenne, écart type, etc.).

data sets

Ces sets de données pourraient représenter 12 succursales, 12 communes ou cantons, 12 transformateurs électriques sur votre réseau, 12 grands consommateurs industriels, 12 camions de votre parc de véhicules. Tous différents, mais avec la même moyenne.

On continue de faire des tableaux de bord décisionnels avec des moyennes. On continue de prendre des décisions importantes sur cette base, et pas seulement dans le domaine de l'énergie (pensez-y la prochaine fois qu'on vous dit que vos clients restent en moyenne x mois chez vous, ou que vos machines sont en panne en moyenne x heures par mois..).

Applications à la transition énergétique

Les dépenses énergétiques des communes correspondent à des distributions de Pareto. Quelques postes (STEP, éclairage public, bâtiments) représentent la grande majorité des dépenses.

électricité

Ce genre d'analyse permet de définir les priorités d'action, par exemple dans une démarche ISO 50'001 ou Cité de l'énergie. Un logiciel a été développé spécialement pour cette application : EnergyView.

Dans un grand bâtiment, il existe de nombreuses pompes de circulation pour le chauffage, l'eau chaude, la climatisation, etc. Là aussi on retrouve régulièrement des distributions de Pareto, ce qui permet d'optimiser l'intervention (cf. topmotors). Alors on la met où la nouvelle pompe de classe A++ ?

pompes

Sur les réseaux de distribution (eau, gaz, chaleur, électricité), le tri des consommations donne aussi des courbes de Pareto (de la grande industrie à la petite villa). Lors de la libéralisation du marché de l'électricité, certains réseaux se sont aperçus que perdre ou gagner quelques gros clients peut fortement impacter l'énergie distribuée...

L'analyse des installations photovoltaïques existantes suit aussi une courbe de Pareto. Les études de l'EPFL montrent que le potentiel solaire aussi suit cette tendance: "L’analyse géospatiale de ces résultats montre que déjà 25% du potentiel estimé peut être réalisé en installant des panneaux PV sur moins de 2% des bâtiments, ceux présentant le potentiel le plus élevé, comme les toits plats. Et si l’on veut aller plus loin, les 75% du potentiel estimé restants peuvent être atteints en installant des panneaux sur un tiers des bâtiments. "

Dans le domaine de l'éclairage public, les consommations d'électricité par rues donnent aussi des courbes de Pareto. Les anciens luminaires à vapeur de mercure sans régulation consomment 8x plus que des LED avec paliers (calculateur ici). Oui, un seul luminaire au mercure oublié dans un coin consomme comme une rue de 200 m avec 8 luminaires LED.

Dernier exemple: le déploiement du smart metering. Sachant qu'un smart meter a un coût fixe de quelques centaines de francs, que les consommateurs sur le réseau électrique suivent une distribution de Pareto forte (de la grange qui consomme 2 kWh d'éclairage par an, à la grande industrie qui consomme des GWh), le rapport coût/bénéfice varie dans des proportions délirantes. Déployer des smart meters pour atteindre 80% de la consommation mesurée au quart d'heure coûterait probablement 10x moins que pour atteindre 80% des points de mesure comme le demande la loi d'ici 2027. Et ça éviterait de récolter des téraoctets de données inutiles... (cf. cet article qui va dans le même sens)

Conclusion

Qu'est-ce qui se passerait si on utilisait davantage l'analyse de données (statistique, spatiale et temporelle) ? On affecterait 80% des budgets aux plus gros consommateurs ? On mettrait en priorité des PAC là où elles sont les plus efficientes ? On mettrait des batteries dans des bus qui roulent 12h par jour au lieu de les mettre dans des voitures qui sont immobiles 98% du temps? On atteindrait 80% des objectifs climatiques en 20% du temps ? On donnerait du contenu à tous ces smart machins (smart metering, smart grid, smart cities, ...) ?