Gondosolar : miroir aux alouettes

Publié par Arnaud Zufferey, ingénieur EPFL, le 9 mars 2022.

Aujourd'hui on peut faire du solaire photovoltaïque partout : sur les toitures et les façades des bâtiments bien sûr, mais aussi sur les infrastructures (autoroutes, parois anti-bruit), sur les lacs et cours d'eau, dans les déserts, sur les cultures (agri-voltaïque), sur les décharges, etc.

Et comme le solaire PV est devenu très rentable, les projets fleurissent. Est-ce qu'on doit pour autant tout laisser faire au nom de la transition énergétique ? Où est la limite ? Cette question pourrait rester théorique, mais voilà qu'arrive le projet Gondo solar.

Ce projet de parc solaire sur un alpage du haut-Valais a été dévoilé le 7 février 2022 (article du Nouvelliste).

Ce projet mérite qu'on s'y intéresse tant il véhicule de clichés.

Aspects politiques

Les politiciens du haut-Valais avaient lancé la campagne bien avant la présentation du projet. Le 13 septembre 2021 déjà, Peter Bodenmann, ancien Conseiller d'Etat, publiait une tribune flatteuse : L’énergie solaire ou le nouvel or de Gondo. Celle-ci révélait déjà le soutien du Conseiller aux Etats Beat Rieder et de la députée Doris Schmidhalter-Näfen.

Deux mois plus tard, le Nouvelliste en remet un couche avec un titre provocateur : Dénaturer des alpages pour produire du courant vert?. On y découvre le soutien de Roberto Schmidt (Conseiller d'Etat en charge de l'énergie), de Joël Fournier (chef de service de l'énergie) et de Christophe Ballif, professeur EPFL et spécialiste du solaire PV.

Sans grande surprise, le Grand conseil s'aligne le 7 mars 2022 : Valais: le Parlement veut développer le solaire hors des zones à bâtir.

Pourquoi un tel soutien ?

A l'origine du projet il y a évidemment des aspects économiques (42 millions d'investissement prévus): que peut-on faire sur des alpages où le prix du m2 ne vaut rien, si on ne peut y faire ni piste de ski, ni résidence secondaire ni barrage ? Sans parler du loup qui mange les moutons...

Ce projet tombe à pic pour le Conseil d'Etat qui n'a rien fait ces dernières années pour soutenir le solaire PV et qui est donc en retard sur ses propres objectifs. Ce projet permettrait de remonter un peu la courbe de production, sans dépenser un centime (cf. l'interview de Roberto Schmidt).

Il y a aussi les aspects politiques, déjà mentionnés, la pression d'Alpiq, grand acteur de l'hydro-électricité (qui a été devancé par Romande énergie sur ce sujet avec le solaire flottant au lac des Toules), les retombées médiatiques...

On sent aussi une certaine volonté de revanche sur la LAT et une confrontation écolo / pas écolo.

Il faut aussi le dire, le projet est présenté de manière très séduisante et semble apporter des solutions. Mais plusieurs points sont trompeurs (d'où le titre de cet article : miroir aux alouettes = chose séduisante mais trompeuse).

Production d'énergie

La production estimée pour la centrale Gondosolar est de 23 GWh/an (23 millions de kWh). Est-ce beaucoup ?

En Valais, par rapport à la force hydraulique qui produit plus de 10'000 GWh/an c'est dérisoire (0.23%). D'une année à l'autre, la production hydro-électrique varie en moyenne de 1'000 GWh.

Les projets de grands barrages (nouveaux ou réhaussements) représentent 1'200 GWh (cf. Accord de principe à Berne sur huit projets valaisans, dont deux nouveaux barrages). Le projet de centrale au fil de l'eau de Massongex-Bex-Rhône (MBR) devrait produire 80 GWh/an (3.5 fois Gondosolar).

La centrale hydroélectrique Gletsch-Oberwald inaugurée par les FMV en 2018 produit 41 GWh/an.

Pour être fair-play, il faudrait comparer avec d'autres installation solaires PV, n'est-ce pas ? Le parc flottant du lac des Toules devrait produire à terme 22 GWh/an.

La production estimée actuelle en Valais est de 155 GWh, soit 20 GWh de plus que l'année précédente. Gondosolar ne permettrait donc que de rattraper un an de retard...

Est-ce qu'on a vraiment besoin de mettre du solaire sur les alpages pour atteindre les objectifs ? La réponse est clairement non. En Valais, le potentiel de production d’électricité photovoltaïque sur les bâtiments est estimé à maximum 4’200 GWh (dont 3'100 GWh en toitures et 1'100 en façades). C’est environ deux fois la consommation du Valais (hors grande industrie qui fluctue beaucoup) et c'est surtout 183 fois la production de Gondosolar.

Et d'ailleurs rien n'empêche de faire des installations en montagne, comme l'illustre à merveille l'installation suivante à Zermatt.

Et si ce n'était pas encore assez, il y a de nombreuses infrastructures qui pourraient accueillir des installations solaires sans toucher les alpages (autoroute, parois anti-bruit, mur et lacs de barrages, etc.). Par exemple un kilomètre d'autoroute (largeur 30 m) couverte avec du solaire PV c'est environ 7.2 GWh/an. Par ailleurs les installations agri-voltaïques permettent aussi de produire du courant tout en protégeant les cultures des intempéries...

Un autre aspect qui est aussi éludé c'est que ces grandes installations loin de tout doivent transporter l'électricité jusqu'au consommateur. Dans le réseau électrique on compte des pertes de 11% environ, donc le gain réalisé par l'installation en altitude est perdu lors du transport. Par ailleurs, le courant est produit à bon marché, mais c'est le producteur qui en bénéficie et pas le consommateur, contrairement à une installation sur son toit.

Par rapport à l'indépendance énergétique : non seulement l'énergie prévue est faible, mais en plus il n'y a aucune garantie que cette électricité soit utilisée en Suisse. Si les prix sont plus favorables en Italie, cette électricité sera exportée.

Au final, si on veut prétendre à davantage d'indépendance énergétique, il faut d'abord maîtriser la consommation d'énergie...

Consommation d'énergie

Que représente Gondosolar par rapport à la consommation d'électricité ?

La consommation d’électricité de la Suisse est plus ou moins stable depuis 20 ans (entre 55'000 et 60'000 GWh). La consommation d’électricité du canton (hors grande industrie qui fluctue beaucoup) est stable depuis 2010 à environ 2’360 GWh. Gondosolar représente donc à peine 1% de la consommation d'électricité du canton.

Un des arguments qui revient souvent est l'électrification du chauffage et la consommation d'électricité des pompes à chaleur (PAC). Ces dernières années, le nombre de PAC a cru de manière exponentielle pour atteindre plus de 15'000 unités. Et la consommation du canton n'a pas augmenté (c'est pareil au niveau suisse). Les gains en efficacité compensent largement l'électrification du chauffage.

En Suisse il y a 117'000 bâtiments avec chauffage électrique. Leur consommation d’électricité est estimée à 2’500 GWh. En Valais c'est environ 360 GWh. Un remplacement de tous ces chauffages électriques par des pompes à chaleur permettrait de réduire la consommation d’électricité en hiver de 240 GWh soit plus de 10 fois Gondosolar.

Oui, mais il y a la forte croissance des véhicules électriques ! C'est juste. Une place de parking fait environ 5 m x 2m soit 10 m2. Sur cette surface, une installation solaire produit environ 1'700 kWh/an. Sachant qu’une voiture électrique de taille moyenne consomme environ 17 kWh/100 km, cette électricité permet de parcourir environ 10'000 km par an. Donc en résumé un seul carport solaire couvre les besoins d'électricité d'un véhicule électrique.

En Suisse, le potentiel de l'efficacité est gigantesque. Eteindre l’éclairage public de 1h à 5h du matin ? au bas mot l'équivalent de 100 GWh économisé. Eteindre les routeurs internet dans chaque foyer entre 22h et 6h du matin permettrait d'économiser 90 GWh par an. Et c'est aussi rentable, en moyenne les économies réalisées par ProKilowatt sont à 4 ct/kWh.

L'OFEN se focalise sur l'augmentation de la production de courant en hiver ("Winterstrom") alors que l'inefficacité est présente partout.

Nature et paysage

Le photomontage de Gondosolar mérite un paragraphe. Sur cette image idyllique, on voit un couple de haut-valaisans (chemise à carreaux et cheveux gris) qui profite de sa retraite pour marcher dans nos belles montagnes. Des moutons nez-noirs les regardent passer avec curiosité. On voit (sur moins de 10% de l'image) 3 modules solaires sur les quelques 4'500 prévus.

Il serait probablement plus honnête de représenter l'alpage ainsi :

mais c'est sûr que ça vend moins du rêve (source : PV-magazine).

Pro-Natura, les Verts, la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage ne sont pas tombés dans le panneau (c'est le cas de le dire) et ont déjà manifesté leur opposition au projet.

Comment peut-on croire qu'il n'y aura aucun dommage à la nature quand on parle de construire un téléphérique, une ligne à haute tension, une station de tranformation, de forer des milliers de pieux dans le sol sur une surface de plus de 100'000 m2, de changer complètement le microclimat local (ombrage, température, humidité), etc. ? La phase d'exploitation ne devrait pas être plus anodine (maintenance, surveillance, voire mesures contre la faune).

La production solaire ne doit pas se faire au détriment du peu de surface naturelles restantes.

Aménagement du territoire

Le plan directeur cantonal adopté en 2019 le dit clairement (fiche E5 installations solaires): la priorité doit être accordée aux installations sur les bâtiments, il faut "envisager les grandes installations solaires isolées uniquement sur des sites particulièrement propices d’un point de vue énergétique, offrant des conditions très favorables et générant de faibles impacts environnementaux, naturels et paysagers". Par ailleurs il faut exiger un plan d'aménagement détaillé et une étude d'impact pour les installations de plus de 5 MW (Gondosolar = 18 MW).

Quand on voit les difficultés pour poser un panneau solaire sur un mayen en zone agricole, je vous laisse imaginer pour recouvrir 100'000 m2 d'alpage.

Conclusion

On doit accélérer le développement du solaire PV en complément de l'efficacité énergétique pour atteindre les objectifs de la transition énergétique. Il y a une quasi unanimité là dessus. Mais on l'a vu : il n'y a pas besoin d'opposer protection de la nature et solaire PV : il y a assez de surfaces bâties et d'infrastructures. Le courant solaire déploie tout son potentiel de manière décentralisée, proche des consommateurs.

Tout le temps qui est perdu sur des projets insensés est du temps perdu sur des projets cohérents.

Pour les autorités, il va falloir intégrer le fait que le solaire est devenu rentable et que les projets incohérents vont se multiplier. Il faudra donc continuer à soutenir le PV tout en mettant en place des garde fous. Sans quoi on va répéter avec le solaire les erreurs des résidences secondaires.