
Écobilan des voitures électriques
Publié par Arnaud Zufferey, le 26 novembre 2020.
La crise climatique nous pousse à réduire drastiquement nos émissions de CO2. Le secteur des transports est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre en Suisse avec 31.8%. Les voitures sont responsables de 75% de ces émissions.
Contrairement aux émissions de CO2 du domaine du bâtiment qui diminuent depuis 1975, ces émissions ont fortement augmenté jusqu'en 2000 et n'ont pas beaucoup varié depuis.

Les solutions de mobilité bas carbone sont connues depuis longtemps (transports publics, mobilité douce...), mais ne sont pas toujours applicables.
Si vous ou votre entreprise devez faire prochainement l'acquisition d'une voiture, vous vous posez probablement la question de la motorisation : électrique ou pas ?
Il y a aujourd'hui plus de 200 modèles de voitures rechargeables disponibles sur le marché européen. Vous avez peut-être lu mes précédents articles qui montrent qu'une voiture électrique est idéale au quotidien, utilisable même pour de longues distances et qu'il existe même un grand choix de SUV.
Il reste une question de taille : la voiture électrique est écologique ou pas ? Certaines publications disent que oui, d'autres que non, qui croire ? Comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, je vous propose quelques éléments de réflexion pour vous faire votre propre opinion.
Moteurs à combustion
Premier constat: la voiture à moteur à combustion est dans une impasse :
- Aucun véhicule à carburant fossile (essence, diesel, gaz) n’arrive en dessous de 108 g de CO2 par km (catalogue de consommation) alors que la limite dans l'UE est à 95 g/km depuis janvier 2020. Le constructeurs doivent donc trouver des alternatives ou payer de lourdes amendes.
- Ces moteurs sont alimentés à 100% aux énergies fossiles. Les biocarburants n'ont pas tenus leurs promesses et sont restés marginaux.
- Le rendement de ces moteurs est bas (30-40%) et la récupération de l'énergie au freinage n'est pas possible
- Les coûts externes du trafic motorisé privé sont estimés à 8 milliards de francs suisses (pollution de l'air, bruit, etc.).
- De plus en plus de villes ou de pays envisagent d'interdire ce type de véhicules.
Il est donc difficile de faire pire. Par ailleurs Il n'y a aucune perspective d'amélioration en dehors de l'électrification ...
Electrification
Le rendement d'un moteur électrique est très bon (~90%) et peut tourner dans le sens inverse pour fonctionner comme générateur et récupérer ainsi l'énergie au freinage. Tous les constructeurs automobiles travaillent aujourd’hui sur l’électrification pour baisser leurs émissions de CO2, avec différentes approches :
- véhicules hybrides (HEV) : un petit moteur électrique et une petite batterie viennent seconder le moteur à essence, surtout à basse vitesse, et permet de récupérer une partie de l'énergie de freinage. Emissions de CO2 à partir de 90 g/km.
- véhicules hybrides rechargeables (PHEV) : similaire aux véhicules hybrides, mais avec un moteur électrique plus puissant et une batterie de plus grande capacité qu'on peut recharger via une prise électrique. Emissions de CO2 à partir de 30 g/km (si on les recharge) mais il faut tenir compte de la production d'électricité (cf. ci-dessous)..
- véhicules électriques à batterie (BEV) : la propulsion est assurée uniquement par un ou plusieurs moteurs électriques et l'énergie est fournie par une batterie, rechargée via une prise électrique. Les émissions de CO2 sont nulles mais il faut tenir compte de la production d'électricité (cf. ci-dessous).
- véhicules à pile à combustible (FCEV) : similaire au véhicule électrique à batterie, sauf que l'énergie est stockée sous forme d'hydrogène. Ces véhicules sont très rares (Toyota Mirai et Hyundai Nexo) et le coût très élevé (>85'000.-) réserve ce type de propulsion aux véhicules lourds (camions et bus). Les émissions de CO2 à l'utilisation sont nulles mais il faut produire l'hydrogène, la plupart du temps par électrolyse ce qui a un rendement 2 à 3x moins bon que d'utiliser directement l'électricité dans un véhicule à batterie..
En 2020 ces véhicules électrifiés représentent 25% des nouvelles immatriculations, soit le double de l'année précédente (source : auto.swiss) :

Etudes sur l'écobilan des voitures électriques
Quel est le meilleur système : hybride, hybride rechargeable, électrique?
En 2018, une étude de l'ADAC assez biaisée conclut que le véhicules électriques ne sont pas particulièrement écologiques fait grand bruit et se fait démonter. Depuis la page en question de l'ADAC a été remplacée par une étude plus récente qui arrive à une conclusion plus nuancée : ça dépend. Le graphique suivant illustre bien la problématique :

Ce graphique montre les tonnes de CO2 émises lors des différentes phases (construction, utilisation en km, élimination) du cycle de vie d'un véhicule. On peut remarquer certaines tendances :
- Au final le plus mauvais bilan est celui des véhicules fossiles (essence et diesel).
- Le meilleur bilan est celui des véhicules électriques ou hydrogènes alimentés par 100% d'énergies renouvelables (4x moins d'émissions de CO2). L'énergie grise est ainsi compensée autour de 45'000 km d'utilisation.
- Plus le courant utilisé est sale et plus le bilan de la voiture électrique se rapproche de celui de la voiture essence/diesel (mais avec moins de bruit, pas de pollution de l'air localement..). A l'inverse, plus le courant est renouvelable et plus vite l'énergie grise est compensée à l'utilisation.
- Pour les véhicules hybrides rechargeables, ils doivent être rechargés fréquemment et avec du courant renouvelable pour apporter une réduction des émissions de CO2 (voir cet article de chargemap pour plus de détails). Une étude récente montre aussi que les émissions réelles des SUV hybrides rechargeables sont plus élevées dans la pratique.
D'autres études sérieuses arrivent à des conclusions similaires : Öko-Institut (2017), ETH (2017), PSI (y.c. calculateur interactif) (2020), etc.
Une étude conséquente (PDF) sur mandat de la commission européenne vient d'être publiée en juillet 2020 (résumé sur Cleantechnica et sur Elektroauto-news). Elle montre que la mobilité électrique pourrait tendre vers la neutralité carbone d'ici 2050.
En parallèle, une étude de l'Eindhoven University of Technology (PDF) montre les erreurs commises dans certaines études biaisées (résumé sur Cleantechnica et InsideEVs).
A noter aussi que les écobilans évoluent avec le temps :
- l'utilisation d'électricité renouvelable est le facteur déterminant tant pour la production que pour la consommation, or le mix électrique s'améliore. Par ailleurs la quasi totalité des réseaux de recharge proposent uniquement du courant vert (Ionity, Fastned, Gofast, EVpass...).
- la batterie est un élément crucial de l'écobilan, or celui ci peut fortement s'améliorer. Par exemple avec une petite batterie et du courant renouvelable, l'énergie grise pourrait être amortie à partir de 20'000 km environ (Elektroauto-news). Une étude récente montre que l'écobilan des batteries s'est fortement amélioré : de 200 kg de CO2 par kWh à 60-100 aujourd'hui (Cleantechnica).
- De plus en plus de projets de réutilisation de batteries dans des stockages stationnaires et de projets de recyclages voient le jour ce qui améliore encore l'écobilan global.
D'autres questions (travail des enfants, lithium, cobalt & cie) sont régulièrement soulevées et sont traitées dans le film A Contresens (résumé sur Automobile-propre). Voir aussi à ce sujet les recommandations de l'Öko-Institut.
Perspectives
Est-ce que remplacer toutes les voitures à essence par des voitures électriques est sensé? Il est permis d’en douter sachant qu’une voiture est inutilisée 90% du temps, et que quand elle est utilisée c’est par 1.6 personne en moyenne.
En Valais 71% de la population habite à moins de 2 km d’une gare. Une combinaison de deux roues électriques (trottinettes, vélos, scooters), de bus autonomes, de taxis électriques, pourrait déjà réduire fortement les émissions de CO2 et préserver les ressources. En effet, une batterie de vélo électrique a une capacité de 0.5 kWh environ contre 50 kWh pour une voiture standard, soit un facteur 100 ! Des petites voitures légères (p.ex. Renault Twizy, Citroën Ami) ont des batteries de 5 à 6 kWh pour une autonomie d'environ 100 km.
Conclusion
Acheter une voiture électrique ne va pas sauver la planète, mais peut contribuer à réduire fortement les émissions de CO2 par rapport à une voiture fossile de taille comparable.
Dans la pratique vous pouvez encore améliorer votre empreinte écologique en utilisant l'approche négaWatt :
- sobriété : prendre un petit véhicule produit en Europe avec une petite batterie, rouler peu, privilégier le télétravail, la mobilité douce et le covoiturage, utiliser le car-sharing .
- efficacité : prendre un véhicule efficient (12 à 15 kWh/100 km plutôt que 20-25 kWh/100 km).
- renouvelables : recharger le véhicule avec du courant renouvelable, installer du solaire photovoltaïque (aujourd'hui avec 20 m2 de solaire on produit environ 3'600 kWh/an, de quoi faire 20'000 km/an pendant au moins 25 ans pour un investissement initial de moins de 10'000.- CHF, soit environ 2 ct/km)
Bonne route !